Excellence Monsieur Emmanuel MACRON
Président de la République française,
Votre discours du 27 février 2023 portant sur la prochaine politique africaine de la France invite à juste titre, à un « partenariat renouvelé » et confirme votre volonté de « bâtir des relations respectueuses, équilibrées et responsables » avec l’Afrique, « pour lutter ensemble sur des causes communes, défendre vos intérêts et aider les pays africains à réussir ». Nous nous en réjouissons.
Dans cette perspective, vous proposez de bâtir un nouveau modèle de partenariat militaire et vous avez choisi d’en discuter avec des Chefs d’Etats concernés. C’est, nous le pensons, le motif qui justifie votre prochaine rencontre avec le président du Togo.
Compte tenu du caractère particulier du régime togolais, nous, citoyens de ce pays, avons pris la liberté de vous adresser cette lettre ouverte afin de rappeler ce qui suit :
– En matière de respect des Droits Humains le Togo n’est pas un modèle. Les libertés individuelles et collectives sont perpétuellement violées. L’espace civique est restreint et il est aujourd’hui presqu’impossible aux organisations de la société civile de se réunir publiquement à Lomé et surtout à l’intérieur du pays.
– Concernant la liberté de presse, deux journalistes ont dû s’exiler depuis le 5 mars 2023 afin d’échapper à une condamnation et à un emprisonnement certain par une institution judiciaire devenue un outil de répression aux mains du régime. L’un d’entre eux se serait réfugié dans votre pays. Cette justice instrumentalisée est également utilisée pour faire taire les voix dissonantes et garantir l’impunité aux auteurs des crimes de sang et crimes économiques. A ce jour, de nombreux citoyens, femmes et hommes, sont détenus dans les geôles en raison de leurs opinions politiques.
– Toujours en matière des droits humains, des enfants ont été tués durant la période des turbulences de 2017 et 2018 lors des manifestations populaires organisées pour un changement de gouvernance et pour plus de démocratie. Jusqu’à ce jour, aucune enquête sérieuse n’a été ouverte pour identifier les auteurs de ces infanticides et les punir conformément à la loi. Au moment où nous vous écrivons, les corps de deux enfants assassinés en 2018 sont toujours à la morgue à Lomé et les familles attendent désespérément que justice leur soit rendue.
– En matière de crimes économiques, la corruption est systémique et obère les ambitions de développement de notre Nation : le cas de Bolloré avec le régime du Togo qui est pendant devant la justice française et plus récemment le rapport d’audit de la Cour des comptes démontrant de graves irrégularités dans la gestion des fonds alloués à la riposte contre la pandémie de la COVID-19 en sont des illustrations frappantes.
Excellence Monsieur le Président, nous n’allons pas nous étendre ici sur le versant sombre du régime du Togo car nous n’aurions pas assez d’encre pour relater tous les crimes dont il se rend coupable vis-à-vis de sa propre
Nation depuis des décennies.
Permettez-nous toutefois de vous rappeler que le Togo est le seul pays de la CEDEAO à n’avoir jamais fait l’expérience d’une alternance démocratique. Ceci est d’autant plus important à rappeler que dans votre discours, nous vous avons entendu dire clairement que la France est « un pays qui considère que les putschs militaires ne seront jamais une alternance démocratique ». Nous osons croire que vous n’ignorez pas comment en 2005, les forces armées du Togo se sont, encore une fois, immiscées dans les affaires politiques du pays en décidant, le soir du 5 février 2005 et contre toutes les dispositions légales et constitutionnelles de « confier » le pouvoir à l’un des fils du président décédé, en l’occurrence à l’actuel président Faure GNASSINGBE. Vous n’avez sans doute pas oublié les images des militaires s’enfuyant avec des urnes dérobées dans les bureaux de vote favorables à l’opposition togolaise lors de l’élection présidentielle de 2005 qui, malgré les mises en garde d’observateurs avertis, a été imposée par la CEDEAO dans un climat de tension extrême et de planification avérée de massacres qui ont finalement fait 500 morts selon le rapport d’établissement des faits élaboré par une commission d’enquête de l’ONU. Autant de crimes en toute impunité !
Aujourd’hui, les élections sont dites apaisées certes, mais sont-elles fiables et transparentes pour autant ? A l’évidence non. L’enrôlement électoral qui se déroule en ce moment même dans des conditions chaotiques prouve que le régime togolais n’en a pas fini avec les holdups électoraux. Notre pays Tog
Le Togo organise des élections cette année et à ce propos, nous nous réjouissons de savoir que la France tient à « clôturer un cycle marqué par la centralité de la question sécuritaire et militaire et la prééminence du
sécuritaire comme cadre de tout » et que cela ouvre la voie, nous l’espérons, à plus de regard sur la question des Droits Humains et de l’Etat de droit. Les défis de nos pays ne sont pas que « sécuritaires, climatiques et démographiques ». Ils sont aussi et surtout démocratiques.
Nous espérons que la France prendra garde à ne pas continuer à faire les frais du rejet qui frappe ces régimes séculaires qui ont trop longtemps bénéficié de son soutien actif : « le modèle d’intimité et d’imbrication avec
nos armées » ; cette politique nouvelle « a vocation à ne pas être simplement de gouvernement à gouvernement » ; la France « comptable du passé sans avoir encore totalement convaincu sur les contours de notre avenir commun » sont autant de réalités à prendre en considération dans vos rapports avec certains régimes dont la légitimité est fortement douteuse.
La France a un « destin lié avec le continent africain », c’est indéniable. « La terre africaine est une terre d’optimisme et de volontarisme » c’est aussi une réalité. C’est pourquoi, dans une vision prospective nous vous invitons à faire de la question de l’Etat de droit une valeur centrale dans la prochaine politique africaine de la France. Ainsi vous éviterez le piège de l’amalgame du rejet qui frappe ces régimes séculaires qui ont trop longtemps bénéficié du soutien de la France.
Respectueusement.
Ont signé :
- Ekoué David DOSSEH – Chirurgien
- Paul Dodji APEVON – Avocat au barreau du Togo
- Kohan Kidékiyime BINAFAME – Technicien supérieur de presse écrite
- Michel A. GOEH AKUE – Universitaire
- Koffi Rodrigue AMEDONOU – Journaliste
- Kokou AMEGAN – Avocat au barreau du Togo
- Jean KISSI – Conseiller municipal
- Kossivi Nicolas EDOH-SEMEGNON – Conseiller municipal
- Essi NUTSUDZI – Défenseure des Droits Humains
- Louis Rodolphe EFOE ATTIOGBE – Activiste des Droits Humains
- Brigitte AMEGANVI – Chef d’entreprise, défenseure des Droits Humains
- Michel M. KINVI – Sociologue consultant
- Kanyi AMOUZOUGAH – Fonctionnaire à la DGFIP
- Karl GABA – Consultant
- Ekoué FOLI BEBE – Ingénieur
- Joël K. AMOVIN – Universitaire
- Alphonse LAWSON-HELLU – Economiste et analyste politique
- Félix Ekué AYIKA – Consultant Sénior des Politiques Légales (LinkedIn)
- Gaetan Gbati ZOUMARO, Directeur financier
- Roger KEKEH, Sociologue
- Wisdom DOHNANI, Informaticien
- Tournons La Page – Togo
- Synergie Togo
- Collectif Togo Debout Europe